La stratégie de l’assimilation par la francisation du prénom risque de provoquer des ruptures identitaires dangereuse pour l’équilibre psychologique des Franco-maghrébins. Une chronique de Gianguglielmo Lozato à lire sur Mizane.info.
« Claire,le prénom de la honte ».L’expression servant de titre au roman autobiographique de l’écrivaine française d’origine turque Cigdem (devenue Claire) Koç traduit un phénomène qui va en s’amplifiant. L’usage décomplexé d’une méthode de cache-cache identitaire s’étend à toutes les couches de la société dans une France terre d’accueil depuis plusieurs siècles, actuellement objet de toutes les spéculations en matière d’intégration ou d’assimilation. Des comportements obéissent à une variable d’ajustement dictée par les attentes du regard d’autrui.
Le citoyen au nom de famille allochtone se demande quel prénom idoine à l’accession au bien-être social il devra donner à ses enfants. Jusqu’à lui-même en se « rebaptisant ». Les deux dernières décennies ayant été influencées par les événements fâcheux du 11 septembre 2001 à New-York, la communauté afro-arabe musulmane dans son immense majorité est perçue avec la plus grande circonspection. Basculée entre les diatribes frontistes nostalgiques de l’Algérie Française et la récupération politique d’une partie de la gauche, sous l’œil mi je-m’en-foutiste mi attentiste du courant macroniste.
Cette prédisposition de la caste politico-médiatique à aller à l’encontre du Grand Maghreb a laissé bien des dégâts dans l’opinion publique française.Jetant le doute dans l’esprit de la population hexagonale,qu’elle soit française de souche,française d’origine étrangère ou bien immigrée.Un doute qui se manifeste par l’adoption d’un prototype de prénom que l’on pourrait qualifier de prénom-avocat ou prénom-alibi.Des interrogations subsistent pour le futur.
Des dégâts subsistent et persistent
Primo, les difficultés relationnelles avec l’Algérie occupent l’espace médiatique et un peu trop les esprits. Le fleuve de ressentiment alimenté par l’amertume estampillée « L’Algérie Française » a créé, à défauts de confluences basées sur la découverte et la concertation, des affluents irriguant des plaines sur lesquelles ont été cultivées les graines de l’arabophobie et de l’islamophobie présentées comme remèdes à n’importe quelle situation de crise. Inconscience ?
La suite se présente sous la forme d’une autre conséquence à déplorer : les complexes causés par les difficultés d’intégration. Par opportunisme guidé par la panique, un certain conformisme s’est emparé d’une frange de la population française de sensibilité arabo-musulmane. De plus en plus de Maghrébins choisissent de prénommer leurs enfants selon un principe d’hybridation aliénante. Il n’est pas rare d’entendre de plus en plus les prénoms Adam (prononcé soit en détachant le « m » final, soit avec le son nasalisé comme en Français), Kevin, Dylan pour les garçons, alors que prédominent Inès et Mélissa talonnées par Sarah, Anaïs, Sephora,Vanessa (à la place d’Anissa), Deborah (prénom d’une jeune fille kabyle qui explique dans mon ouvrage « Le Syndrome du nord magnétique » qu’en raison de ses yeux bleus et de son prénom passe-partout, sa vie s’en trouve facilitée : « Je peux passer partout et je n’ai jamais rencontré de racisme »), Chimène…
Le point culminant du paradoxe étant rejoint par Rayane privé de son déterminant initialement accolé (qui vient de Er-Rayane ou Ar-Rayane,une des portes du paradis selon la tradition islamique) qui peut s’orthographier également Rayan, ou encore Ryan où la mimétisation avec l’homophonie du prénom anglophone rejoint celle orthographique.
Cette course vers la normalisation par le prénom, erreur culturelle commise par des membres de la communauté maghrébine depuis une quinzaine d’années, est un non-sens débouchant sur le grotesque. Transposer complètement ce qui a été possible pour faire accepter les étrangers européens et leurs descendants est inadapté. En effet,s’appeler « Bernardo » ou « Bernard » lorsque l’on est d’origine espagnole, « Antonio » ou « Antoine » si on est franco-portugais, ou encore « Giampiero » ou « Jean-Pierre » si on est lié à l’Italie rentre dans le cadre logique de la traduction d’une langue latinisante à une autre, sur un socle euro-chrétien.
Ce qui sera déjà moins évident pour passer par exemple de l’Allemand au Français (« Carsten » pour « Christian » ;« Wolfgang » correspondrait à un improbable « Loup qui avance » faisant croire à un surnom de chef indien) ou de l’Anglais au Français(« James » se traduisant par « Jacques », « William » par « Guillaume ») du point de vue des sonorités, outre les possibles correspondances synonymiques bancales comme si l’on passe du russe « Tatiana » à sa signification française « Fée ».
S’il n’est pas choquant de passer de « Mohammed » à « Muhammad » en Persan et « Muhammet » en Turc, le passage d’une traduction littérale d’un prénom tiré du lexique coranique vers la langue de Molière peut donner lieu à des effets inattendus. De cette façon, un individu arabe ou berbère s’appelant « Yahya » se verrait désigné comme « Jean », c’est-à-dire à l’aide d’un prénom ne présentant aucune similitude phonologique et renvoyant de surcroît au monde biblique. Prénom, seul ou assemblé pour former un composé, qui est d’ailleurs devenu plus porté par les descendants d’Espagnols, d’Italiens et de Portugais, de Corses restés plus liés à la religion catholique que les autres français de souche européenne. Un prénom qui ne correspond en rien, disons-le en passant, à la traduction de celui originel de Jean Messiha qui au départ s’appelait Hossam Botros Messiha. Jean,le premier prénom d’un certain Le Pen arrivé au second tour des élections présidentielles un jour de printemps 2002…
Entre intégration et désintégration par le prénom
D’où un sentiment général d’inexactitude résultant du carnaval social qui est en train de se mettre en place.Nous assistons à la naissance d’un phénomène pouvant conduire à moyen terme à un clivage inédit entre « visibles » et volontairement « invisibles ». Entre les « Mohammed » et les « Eden » (prénom masculin originellement lié au judaïsme, ce qui est un comble pour une communauté accusée régulièrement d’antisémitisme décomplexé!). Entre assumés et dilués. Entre « les fidèles authentiques » et « les vendus » comme l’assène durement Mourad, jeune cadre en région parisienne d’origine tunisienne interrogée dans mon ouvrage.
Si un tel processus s’intensifie, le risque d’effacement identitaire est envisageable. Lequel aura un impact collectif et individuel négatif. Collectivement avec une désagrégation de la solidarité communautaire ou confessionnelle dont les Nord-africains ont pourtant bien besoin. Individuellement, l’emploi de prénoms-tampons agités comme des alibis ou des aveux forcés d’assimilation inconditionnelle jettera le trouble dans les esprits. Donc dans la construction de l’individu dès sa naissance.
Giorgio Festa, auteur spécialiste de la thématique de l’exil et membre du Lion’s Club,avait rapporté cette anecdote suite à un concours d’éloquence à Sevran en Seine-Saint-Denis : « J’ai entendu une candidate dire à sa camarade de promotion qu’elle ne comprenait pas qu’une de ses connaissances lycéennes ait été renommé « Nina » par ses parents à la place de « Mina » dans l’état civil ». Ce à quoi son interlocutrice aurait répondu « ben ils assument pas leurs origines alors normal il s n’ont pas de personnalité et on en a la preuve avec ça ».Un duel semblerait s’être initié entre d’un côté les troisième et quatrième génération, et de l’autre côté le camp des « bledards » restés attachés à leurs habitudes.
On commence par modifier l’habitude des prénoms, puis ce sera le tour des noms de famille en attendant l’intervention de l’I.A pour apprendre le mantra « Comment ressembler à un vrai Français en dix leçons » ; avec pour corollaire la perte de la spiritualité menant vers l’autodestruction identitaire comme méthode d’accession à l’élévation sociale.
Cette toute dernière considération visant à illustrer cet inventaire des dégâts causés par la montée de l’intolérance démontre l’immixtion de l’idéologie de l’aplanissement de la propre identité y compris dans la sphère privée la plus restreinte. S’intégrer en s’assimilant par l’effacement représente un grave danger tant pour la santé mentale des citoyens arabo-berbères hexagonaux. Moins une personne issue de cette communauté connaîtra ses racines et plus la société s’exposera à des risques de sursaut identitaire caricaturaux de la part de celles et ceux qui se sentiront obligés de compenser un manque de connaissance du patrimoine familial ethno-religieux.
Des proies idéales face à deux dérives idéologiques. Soit en cédant au fascisme anti maghrébin ou antimusulman pour prouver aux autres et à soi-même que l’on est un(e) vrai(e) Français(e) malgré ses origines, son nom de famille ou son faciès. Soit en cédant à un extrémisme (lui-même décrié par les Musulmans dans leur majorité, il convient de le souligner) sur fond de tafkirisme dont les interprétations les plus radicales les enjoindront à se livrer à la violence, ou bien à la polémique comme à travers les déclarations lancées par l’influenceuse franco-algérienne répondant au patronyme de Benlemmane et, justement, au prénom transparent de Sofia.
Le spectre franco-algérien
À l’origine, « Sofia » définit le sens de la philosophie et de la sagesse dans la Grèce Antique. Ce qui contraste avec la pathétique tik-tokeuse citée. Cette racine étymologique hellénisante n’imprègne quasiment plus la conscience collective. « La musique des mots plutôt que leur sens » s’était divertir à écrire Mallarmé. Une maxime en accord avec l’état d’esprit de la superficialité et du jacobinisme poussé à l’extrême par qui veut privilégier la forme au contenu. Il est vrai que depuis Louis XIV souverain absolutiste d’un État centralisé, le « jus soli » prime sur le droit du sang pour l’acquisition de la nationalité. Dispositif qui présente une élasticité partant du démocratique vers l’autoritarisme au fil du temps.
Appliqué trop mécaniquement, l’arbitraire risque de pousser directement ou indirectement l’identité de l’individu vers une issue incompatible avec son essence. Pensons aux tentatives de créer l’Homo Sovieticus par l’URSS, à la sinisation forcée des Ouïghours par les autorités chinoises ou encore à la mise au ban des Lapons sur leur propre territoire. En France, de la Renaissance jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, on a pu assister à une tendance à franciser les noms italiens et espagnols. Faisant passer le cardinal Mazzarini à Mazarin,la famille « De Medici » à « Medicis ».Sans oublier la tendance à substituer le « i » final par un « y » qui s’était institutionnaliser comme avec le compositeur Giambattista Lulli devenu Jean-Baptiste Lully. Comme si « Spaghetti »devenait « Spaghetty ». Plus tard, ce seront deux frères industriels et banquiers qui encadreront les finances de la France, répondant au nom de Péreire, francisation du portugais « Pereira ».
La difficulté à franciser ou traduire des noms issus du Grand Maghreb peut conduire à des surprises, à des incongruités allant de pair avec des errements divers.Taos, une Kabyle qui réside en Île-de-France, a prénommé ses enfants de manière ambiguë ,transparente et pour l’un deux en puisant dans le réservoir francophone. Elle le résume dans « Le Syndrome du nord magnétique » : « J’ai cru bien faire en éloignant mes enfants et mon mari des Algériens, qu’ils soient Arabes ou Kabyles. Résultat: mes enfants m’ont déçue et se moquent de moi.Trois ont été en échec scolaire. Le grand a aussi fait de la prison.[…] Et maintenant je paye tout ça avec mon mari qui m’accuse tous les jours de l’avoir coupé de sa famille et de tous ses copains ».
Témoignage d’une erreur commise par une personne arrivée dans les années soixante-dix, néanmoins excusable au vu de son ancrage familial caractérisé par la ruralité, l’analphabétisme de certains de ses membres. Dans le même ouvrage, une baby-sitter franco-marocaine détaille : « Moi j’ai deux prénoms. Latifa pour ma sphère privée. En fait très privée devant mes parentes et mes frères et sœurs. Puis Eva, pour le boulot ». Cette dichotomie exprimée par ces deux femmes ne réfléchissant qu’à court terme inquiète de par son caractère expéditif. « Le Français est notre butin de guerre » avait proclamé l’écrivain algérien Kateb Yacines. Une maxime sur laquelle ces deux interlocutrices devraient méditer.
L’apport d’une langue étrangère est toujours utile du point de vue de la culture, de la conceptualisation, de la communication. Sur ce plan, la communauté algérienne détient un pouvoir inestimable de par sa maîtrise de la langue française bien plus généralisée que dans le reste du monde arabe. Si ses membres reprennent conscience que la pratiquer relève d’une complémentarité et non exclusivement d’un outil d’effacement de soi, alors ils pourront influencer le reste des Africains du Nord qui habitent en France, en se ressourçant au moyen de l’attribution de prénoms plus en accord avec l’intimité familiale ancestrale. Pour le bien psychologique de l’Oumma puisque la donation de prénoms agissants comme des attestations de bonne conduite feraient courir le risque de troubles de la personnalité.
« Tu as cru qu’en changeant de prénom, tu allais devenir Française » s’était exclamé un des frères de C.Koç dans son roman. Le choix du prénom « présentable » garant de francité et la version radicale du changement à l’état civil sont donc encouragés. Survalorisés aussi. Passer sa vie à brandir un prénom compensant un nom de famille « dérangeant »,une supposée appartenance ethno-religieuse ou un faciès, tel un justificatif de bonne conduite, contient les éléments pour transformer le prénom-alibi censurant les origines en prénom-cagibi les reléguant dans le subconscient.
Il incombera au peuple français dans son ensemble de demeurer vigilant face à une politique sociale en trompe-l’oeil dont les effets pourraient tout aussi bien s’estomper que s’accentuer. Ces dernières années ont démontré la vacuité inédite de la vie politique de l’Hexagone soumis aux fluctuations de la philosophie du « en même temps « ayant amené par deux fois Emmanuel Macron à la présidence. Hasard qui peut nous fait déduire que les Français, hésitants, se sont sentis logiquement représentés par quelqu’un de vacillant.
Cette inconstance a gagné les Arabo-Berbères en général. Que ce soit chez les expatriés ou les natifs de la patrie au drapeau bleu-blanc-rouge risquant de passer de point de ralliement à signe d’incompréhension. Avec le rêve américain s’était opérée la transmission d’éléments anglo-saxons comme accompagnements patronymiques chez les Européens. Sur le sol français sont apparus de plus en plus fréquemment les Jennifer, Steve, Jonathan, Christopher, Kevin… sans pour autant que l’American Dream ne se téléporte dans leur existence. Aussi, les Maghrébins de France se doivent de ne pas tomber dans le piège d’un « French Dream » qui s’apparenterait davantage à une illusion gauloise.
Gianguglielmo Lozato