Sur Mizane.info, plongée dans le Manuel d’Epictète, une introduction à la philosophie stoïcienne.
X Devant tout ce qui t’arrive, pense à rentrer en toi-même et cherche quelle faculté tu possèdes pour y faire face. Tu aperçois un beau garçon, une belle fille? Trouve en toi la tempérance. Tu souffres? Trouve l’endurance. On t’insulte? Trouve la patience. En t’exerçant ainsi tu ne seras plus le jouet de tes représentations.
XI Ne dis jamais, à propos de rien, que tu l’as perdu; dis: «Je l’ai rendu.» Ton enfant est mort? Tu l’as rendu. Ta femme est morte? Tu l’as rendue. On t’a volé? Eh bien, ce que l’on t’a volé, tu l’as rendu. «Mais c’est un scélérat qui me l’a pris!» Que t’importe le moyen dont s’est servi, pour le reprendre, celui qui te l’avait donné? En attendant le moment de le rendre, en revanche, prends-en soin comme d’une chose qui ne t’appartient pas, comme font les voyageurs dans une auberge.
XII Si tu veux faire des progrès, laisse tomber les réflexions du genre: «Si je néglige mes intérêts, je n’aurai même pas de quoi vivre.» «Si je ne suis pas assez sévère avec mon esclave, il me servira mal.» Mieux vaut mourir de faim délivré du chagrin et de la peur, que vivre dans l’abondance au milieu des angoisses. Mieux vaut être mal servi par son esclave que malheureux. Commence donc par les petites choses. On gaspille ton huile, on vole ton vin? Dis-toi: c’est le prix de la tranquillité, c’est le prix d’une âme sans trouble. On n’a jamais rien pour rien. Quand tu as besoin de ton esclave, souviens-toi qu’il peut ne pas venir et que, s’il vient, il exécutera peut-être tes ordres à tort et à travers. Mais il n’a pas le pouvoir que ta tranquillité dépende de lui.
XIII Si tu veux progresser, accepte de passer pour un ignorant et un idiot dans tout ce qui concerne les choses extérieures; n’essaie jamais d’avoir l’air instruit. Si certains ont bonne opinion de toi, méfie-toi. Tu dois savoir qu’il n’est pas facile de suivre ce qu’enjoint la nature tout en s’attachant aux objets extérieurs: si tu poursuis l’un de ces objectifs, il est inévitable que tu négliges l’autre.
XIV 1. Si tu souhaites que tes enfants, ta femme et tes amis soient éternels, tu es un sot, car c’est vouloir que ce qui ne dépend pas de toi en dépende; que ce qui n’est pas à toi t’appartienne. De même, si tu veux un serviteur sans défauts, tu es stupide, puisque tu voudrais que la médiocrité soit autre chose que ce qu’elle est. Mais si tu veux atteindre l’objet de tes désirs, tu le peux. Exerce-toi à ce qui est en ton pouvoir. 2. Tout homme a pour maître celui qui peut lui apporter ou lui soustraire ce qu’il désire ou ce qu’il craint. Que ceux qui veulent être libres s’abstiennent donc de vouloir ce qui ne dépend pas d’eux seuls: sinon, inévitablement, ils seront esclaves.
XVI Lorsque tu vois quelqu’un se lamenter sur son fils parti en exil, ou parce qu’il a perdu ses biens, ne te laisse pas aller à croire que ces événements font son malheur: ce qui cause du chagrin à cet homme, ce n’est pas ce qui lui arrive (sinon cela ferait le même effet à tel ou tel), mais l’opinion qu’il se fait de cet événement. Cependant, ne refuse pas de t’associer raisonnablement à sa peine, et même, au besoin, pleure avec lui; prends seulement garde de ne pas pleurer aussi en toi-même.
XVII Souviens-toi que tu joues dans une pièce qu’a choisie le metteur en scène: courte, s’il l’a voulue courte, longue, s’il l’a voulue longue. S’il te fait jouer le rôle d’un mendiant, joue-le de ton mieux; et fais de même, que tu joues un boiteux, un homme d’État ou un simple particulier. Le choix du rôle est l’affaire d’un autre.
XIX Tu peux être invincible si tu n’engages jamais de lutte où la victoire ne dépende pas de toi. Garde-toi d’estimer heureux un homme choisi pour une charge officielle, ou très puissant, ou jouissant, pour une raison ou une autre, de l’estime publique. En effet, si l’essence du bien réside dans ce qui dépend de nous, il n’y a de raison ni d’être jaloux, ni d’être envieux. Quant à toi, ce n’est pas général, magistrat ou consul que tu veux être, mais libre; or, pour y arriver, il n’y a qu’un chemin: le mépris de ce qui ne dépend pas de toi.
XXII Si ton désir te pousse vers la philosophie, prépare-toi à être partout en butte aux moqueries et aux sarcasmes; à entendre dire: «Voyez-le devenu soudainement philosophe!» ou «Qu’est-ce qui nous vaut cette arrogance?» Mais toi, ne sois pas arrogant; tiens-t’en fermement aux conduites qui te semblent les meilleures, conscient que c’est le dieu qui t’a mis à ce poste. Et souviens-toi que, si tu restes constant dans ces principes, ceux qui au début se moquaient de toi finiront par t’admirer; tandis que si tu ne te montres pas à la hauteur, on rira de toi deux fois plus fort.
XXIII S’il t’arrive un jour d’accorder du poids aux objets extérieurs par désir de plaire à quelqu’un, sache que tu réduiras à néant tes principes de vie. Borne-toi donc à être toujours philosophe; mais si tu tiens aussi à le paraître, que ce soit à tes propres yeux et cela suffira.
Epictète