« Dans un monde tumultueux, nous comptons plus que jamais sur les Nations Unies, mais elles échouent ». Jamal Benomar – ancien sous-secrétaire général de l‘ONU – émet une critique détaillée, publiée sur le site The Guardian, de l’agence internationale qui « ne parvient plus à prévenir ou à arbitrer aucun des conflits actuels ».
Il devrait y avoir un leadership, mais au lieu de cela, nous voyons des initiatives grandiloquentes et une réticence à s’attaquer aux défauts fondamentaux. Le Sommet des Nations Unies sur l’avenir s’est achevé, mais le monde réel et actuel reste en feu.
Alors que l’Assemblée générale des Nations Unies s’est réunit récemment – dans un événement annuel conviant plusieurs dizaines de chefs d’État à New York – des questions clés sur le rôle et l’avenir des Nations Unies restent sans réponse.
La guerre dévastatrice d’Israël à Gaza s’est propagée au Liban, 25 millions de personnes risquent de mourir de faim dans un Soudan déchiré par le conflit, et la guerre meurtrière en Ukraine se poursuit. Créée il y a près de 80 ans pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l’ONU ne parvient plus à prévenir ou à arbitrer aucun de ces conflits.
Pacte pour l’avenir : un document « sans conclusion concrète »
Le document final du sommet, le Pacte pour l’avenir, a été approuvé après de longues et âpres négociations. Il couvre tous les domaines, de la culture et des sports à la crise climatique et aux objectifs de développement durable, en passant par les droits de l’homme, l’égalité des sexes, la fin de la pauvreté, la cohésion sociale, la paix et la sécurité.
Il s’étend à la science et à la technologie, à la jeunesse, à la réforme des institutions financières, à la gouvernance des données, à l’intelligence artificielle et, croyez-le ou non, même à l’espace. Pourtant, la majeure partie du texte est constituée de formulations réécrites et recyclées provenant de documents de l’ONU déjà approuvés.
Le langage utilisé est vague et ambitieux. Il ne contient guère de conclusions concrètes et exploitables qui pourraient faire avancer les nobles objectifs du sommet. Par exemple, dans la section sur la paix et la sécurité, le document final ne traite pas des raisons du déclin accéléré de la médiation de l’ONU et de la crise des opérations de maintien de la paix de l’ONU ces dernières années.
Des rapports et des réunions face à un monde en feu
Dans un pays après l’autre, les parties en conflit contournent ou rejettent les bons offices du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et demandent le retrait des opérations de maintien de la paix.
Au lieu de s’attaquer à ces questions, le document appelle à un « examen » des opérations de paix et à davantage de réunions mondiales « pour discuter des questions relatives aux opérations de paix, à la consolidation de la paix et aux conflits ». Dans la tradition classique de l’ONU, lorsqu’elle n’a pas de réponses ou de voie à suivre, l’ONU demande davantage de rapports et de réunions.
À une époque où les atrocités de masse et l’effondrement de l’État de droit sont de plus en plus la norme – comme on le voit à Gaza –, le seul « nouveau » langage dans le document est une demande au secrétaire général d’« évaluer le besoin » de ressources supplémentaires pour son bureau des droits de l’homme.
Les initiatives limitées des anciens secrétaires généraux
Les initiatives grandiloquentes comme le Sommet du futur ne sont pas nouvelles. Les anciens secrétaires généraux ont appelé à la tenue de sommets mondiaux qui n’ont pas eu beaucoup de résultats. C’est à Boutros Boutros-Ghali qu’il faut attribuer le mérite d’avoir fait avancer la réforme de l’ONU avec moins de fanfare.
Son Agenda pour la paix de 1992 a ouvert la voie à l’élargissement des opérations de maintien de la paix de l’ONU, à l’intensification de la médiation menée par l’ONU et à des efforts discrets de prévention des conflits dans le monde entier, tout en réduisant la bureaucratie pléthorique du Secrétariat de l’ONU en supprimant plus d’un millier de postes.
Sous la direction du regretté Kofi Annan, l’initiative « Dans une liberté plus grande » de 2005 a permis de développer le concept des objectifs de développement durable, la création d’une nouvelle architecture de consolidation de la paix et d’un nouveau Conseil des droits de l’homme comme alternative à la Commission des droits de l’homme, aujourd’hui discréditée.
Si ces initiatives ont mis en avant des idées à la fois novatrices et concrètes, leur impact a été limité. L’ancien secrétaire général Ban Ki-moon, à sa manière humble, n’a pas appelé à la tenue de sommets spéciaux. Au lieu de cela, il a utilisé efficacement les forums mondiaux existants pour défendre l’appel à l’action sur le changement climatique.
Le manque de courage d’Antonio Guterres
En revanche, la contribution de l’actuel secrétaire général, António Guterres, au Sommet du futur a manqué de concentration, de propositions concrètes et viables, et de courage.
De nombreux observateurs ont donc considéré qu’il s’agissait d’un exercice de relations publiques destiné à maintenir à flot l’image défaillante de l’ONU et à dissimuler ses véritables échecs. Le sommet a été une occasion manquée de discuter de certaines des questions fondamentales qui minent l’organisation.
Parmi celles-ci figurent l’impasse au sein du Conseil de sécurité et les vœux pieux de réforme de la part des cinq membres permanents (Chine, France, Fédération de Russie, Royaume-Uni et Etats-Unis) ; le respect du droit international, l’impunité et la prévention des atrocités de masse ; les défaillances de la structure du Conseil des droits de l’homme et les performances douteuses de la Commission de consolidation de la paix.
Réinventer le rôle de l’ONU
On a également négligé la nécessité de réinventer le rôle de l’ONU dans la paix et la sécurité et de réformer une bureaucratie onusienne pléthorique fondée sur le clientélisme, avec des départements clés du Secrétariat contrôlés par trois Etats membres permanents.
Il est nécessaire de revoir le rôle, la nomination et l’indépendance du secrétaire général ; et de voir comment l’Assemblée générale pourrait être « revigorée » et ouverte aux acteurs non étatiques.
Malgré ces défauts, l’ONU est plus que jamais nécessaire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur la paix et aux défis croissants de la crise climatique. Les milliers de membres du personnel de l’ONU déployés dans les points chauds du monde méritent notre respect et notre reconnaissance. Ils méritent également un leadership et une vision plus claire.
Jamal Benomar
Ancien sous-secrétaire général de l’ONU et ancien envoyé spécial pour le Yémen.
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