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Vers un hooliganisme d’état

Été 2006. De juillet à septembre, les grandes vacances ont été marquées par le succès italien en Coupe du Monde de Football. Avec un épisode inoubliable : le coup de tête de Zinédine Zidane en finale. L’événement avait eu lieu en Allemagne, nation qui se retrouve de nouveau organisatrice d’une compétition de premier plan. Prémonition ? Une chronique signée Gianguglielmo Lozato.

Je suis amateur de football. Oui, amateur est bien le mot qui convient puisque je n’ai pas à mon actif un parcours de footballeur professionnel. La faute à un mental plus tourné vers les études, les préoccupations théoriques héritées de l’héritage familial d’un vaste creuset de personnes liées à l’enseignement. La faute à un manque de talent malgré quelques dispositions physiques (réelles ou surévaluées je ne le saurai jamais et je ne préfère pas le savoir!) d’après des entraîneurs illusionnés par ma résistance contre les participants plus âgés et plus grands que moi pendant les matchs.

Pour le bien du foot professionnel et pour sauvegarder ce qui lui reste de qualité, je suis donc devenu un prof. Comme dans ma famille paternelle. Comme l’ensemble, aussi, de ma famille maternelle. Bien que ma mère ait été femme au foyer, elle est restée une enseignante dans l’âme. Comme le suggère une légende familiale et étymologique, mon patronyme serait lui-même lié au monde magique des professeurs, quelque part sur le littoral toscan, sur fond de coucher de soleil médiéval. L’atavisme. Je n’ai pas échappé au destin d’enseigner.

Deux langues vivantes font partie intrinsèquement de ma vie : le Français et l’Italien.A travers un bilinguisme affirmé mais aux réalités bancales,en fait.Les gens peuvent m’appeler par le prénom qu’ils veulent : Gianguglielmo ou Jean-Guillaume,de toutes façons la signification est identique.Il s’agit juste d’un réajustement lié à la traductologie.

Toutes ces caractéristiques m’ont aidé dans mon approche du sport dont il est question aujourd’hui.En alliant passion,parfois mauvaise foi,et réflexion plus objective,j’ai tenté de produire quelques analyses au cours de mon existence à propos de certaines compétitions.

La géographie fait partie de mes centre d’intérêt.Paul Eluard avait dit « La Terre est bleue comme une orange ».Je lui réplique qu’elle est sphérique comme un ballon.Ceci m’a bien évidemment conditionné pour avoir une vision plus internationalisée des choses,plus spatiales.

Dès lors,je me suis toujours intéressé davantage à la Coupe du Monde ou à l’Euro qu’aux pérégrinations des clubs en championnat.Au rang d’idoles j’ai érigé Alessandro Altobelli,Roberto Pruzzo,Franco Causio,Bruno Conti,Michel Platini,Pelé,Didier Six,Dominique Rocheteau,Roger Milla,Tarak Dhiab,Dino Zoff,Socratès,Krimau,Antonio Cabrini…

Par l’intermédiaire des équipes nationales s’opère une polarisation multidirectionnelle.La confrontation de styles de jeu différents donnent à contempler une vraie ouverture vers un espace dialectique,installé directement sur le rectangle vert.Un enrichissement dont on peut percevoir un complément à travers des hymnes divers,une émotion planétaire et un voyage de l’esprit.

Cet intérêt m’a fait produire quelques jugements dont je ne sais s’il faut les rattacher à l’analyse,la prédiction ou la divination.Par exemple,d’avoir prévu avant sa qualification officielle au Mondial brésilien de 2014,le retour au premier plan international de l’équipe d’Algérie.Puis la surprise islandaise,la qualification turque ainsi que la place de finaliste de la France en vue de l’Euro 2016.Pour arriver à la mise en garde par rapport aux potentialités de l’équipe du Maroc,dont l épopée a marqué très fortement l’édition Qatar 2022.Quand la magie de la coupe du monde opère pour laisser à la postérité des souvenirs impérissables de bonheur collectif.Des sentiments ressentis à partir du Maroc et aussi à travers toute la planète dans un esprit d’universalité.Nonobstant quelques débordements de supporters en Europe.Quand la subjectivité monopolise les esprits.

Mon premier fait d’armes a été d’obtenir un place de stagiaire à la Federcalcio,à Rome,dans le cadre de mes recherches en tant qu’étudiant. Pour y avoir vécu le foot italien de l’intérieur,cela m’a conforté dans ma place de supporter fidèle à la Squadra Azzurra ,quelque soit les résultats.

En parallèle,avec ce stage de découverte auprès du service de presse de la Fédération Italienne de Football et de son directeur Valentino Valentini, en plus de mes études en langue et civilisation étrangère,j’ai découvert le journalisme grâce à Salvatore Pidatella.Il a immédiatement tenté de m’inculquer l’esprit critique oscillant entre l’état passionné et dépassionné. »L’esprit critique a deux mi-temps » m’avait-il affirmé de son large sourire au cours de son invitation à déjeuner dans le centre chic de Rome.

Il est vrai que ça m’a servi plus tard pour prédire des qualifications surprises,anticiper des faits de jeu ou deviner des résultats.Plus tard,l’homme qui me fera confiance pour mes écrits à propos du football sera Jean-Michel Orlowski,qui m’avait déjà prévenu que supporter l’équipe d’Italie et l’A.S Roma pourrait agir en éléments autant distinctifs qu’handicapants.

Alors que ma carrière s’est poursuivie sur Paris, ville à laquelle je suis extrêmement attaché, ma vie de supporter de l’Italie ressemblait plus à un long fleuve tranquille comme la Seine qu’au Gange surpeuplé. Moi le Méditerranéen j’avais délaissé la mer pour emprunter la voie fluviale dépourvue de tsunami. Pourtant. Oui, pourtant, une situation que je n’avais pas vu venir s’est installée en 2006.En vacances en Italie,je partageais mon temps entre la Toscane et Rome.

Je me trouvais dans la capitale, chez ma tante Ottorina qui ne fait plus partie de ce monde. Avec un aplomb qui m’a surpris, celle-ci m’avait dit préférer que l’Italie ne tombe pas contre la France en finale car ça pouvait « faire des histoires ».Les personnes âgées vivent avec leurs petites habitudes, façonnées par des idées préconçues plus que des convictions ? C’est peut-être ce que j’avais pensé à ce moment-là puisque j’y avais à peine prêté attention.Le verdict de la demi-finale tomba dans la nuit estivale : l’Italie a éliminé l’Allemagne sur son propre terrain. Occasionnant des heurts entre les supporters teutons et les résidents turcs qui, eux ,avaient manifesté beaucoup plus de sympathie envers les protagonistes italiques.

Dur retour à la réalité

Je décidai alors de rallier la Toscane pour regarder la finale avec d’autres membres de ma famille ainsi qu’avec des amis proches.Avec l’équipe de France comme adversaire,s’étant qualifiée en battant le Portugal.

A partir du début de la retransmission,entre la sortie des vestiaires et les hymnes,on pouvait remarquer que quelque chose n’allait pas.Les joueurs se regardaient peu,semblaient tout faire pour s’éviter.Les poignées de mains avant le signal de l’arbitre n’étaient pas franches.Ce n’était pas que l’enjeu à être responsable de la crispation qui se lisait sur les visages.La partie fut disputée si âprement que les fautes se succédaient.Jusqu’au tournant du match_de l’année pourrait-on dire_ le coup de tête asséné par Yazid Zinédine Zidane à Marco Materazzi.Un « coup de boule » passé à la postérité comme une marque déposée.

L’été s’est passé dans l’euphorie de la victoire en Italie,entre repos,ballades,sorties,visites et surtout l’existence organisée selon la vie à la plage.Une insouciance balnéaire bien vite remise en place à mon retour dans l’hexagone.

A peine eussé-je foulé le sol de l’aéroport de Roissy qu’un spectacle digne d’une mauvaise farce s’offrit à mes yeux et à mes oreilles.Nous étions beaucoup de passagers vêtus du maillot de l’équipe championne du monde,y compris une poignée de personnes sans origines transalpines. Les commentaires à haute voix ont été suivies d’invectives plus abjectes les unes que les autres, de la part de passagers arrivant d’autres destinations, près des postes douaniers ou devant les tapis roulants destinés à la restitution des bagages. Je me souviens de quolibets comme »voilà les tricheurs » ou « voilà ces voleurs de Ritals ».

Tous les poncifs et insultes du Nogent de l’époque de Cavanna se réincarnaient dans les cris des gens. Et ça faisait pourtant presque deux mois que la finale avait eu lieu… De septembre 2006 jusqu’à l’Euro 2008,j’allai entendre ou constater par moi-même bien des comportements hystériques. Dès la descente d’avion, donc. Après avoir supporté les commentaires d’une dame âgée rappelant tous les méfaits causés par les immigrés italiens dans le quartier de sa jeunesse, j’ai été confronté à un buraliste algérien me reprochant à haute voix devant son patron « de type plus caucasien » de ne pas avoir honte d’arborer « le tee-shirt d’une sale équipe ».

Ce qui m’a fait lui rétorquer très arbitrairement « ce n’est pas parce que vous dîtes ça tout fort que les gens vous admireront plus en France ».Cet individu avait-il créé une nouvelle épreuve sportive, une course vers l’assimilation à-plat-ventriste ? Quant à la fille aux yeux clairs et à la coupe de cheveux en carré du Stade de France qui a crié « Italiens enculés ! » à trois mètres de moi, quel bel exemple de féminité. Elle aurait certainement pu inspirer Pierre de Ronsard.Ou,à la réflexion, davantage Charles Baudelaire dans sa quête de rechercher le beau y compris là où il n’y en aurait pas.

Le temps du flash-back

Les références au passé sont nombreuses dans le monde du football,sur le plan médiatique ou informel.Elles concernent aussi bien les joueurs,les équipes que des anecdotes.Malheureusement,les choses qui me reviennent ont trait à des facteurs extra sportifs bien dommageables.

En cette période d’Euro 2024,les footballeurs jouent aux apprentis politiciens. Comme aux heures sombres pré « Mundial Argentina 78 » lorsque les sportifs concernés pour cette expédition avaient secoué les médias de leurs revendications contestant ce qui passait sous la dictature du général Videla. A l’instar de Mbappé et Thuram actuellement, William Gallas avait vilipendé violemment les Italiens en disant « C’est de la triche ».

L’ancien sélectionneur Raymond Domenech ne s’était pas privé non plus de diaboliser l’Italie du Football, jusqu’à l’Italie tout court.Des agressions avaient eu lieu à Paris,Nice,Lyon,Grenoble contre des supporters italiens, français d’origine italienne. Ou encore bien plus subtil que ça : contre de simples sympathisants bien extérieurs à la communauté italienne ayant commis pour seule faute d’endosser un tee-shirt aux couleurs de la « Squadra Azzurra » ou d’avoir affiché des drapeaux verts-blancs-rouges dans les cafés dont ils étaient tenanciers.

Puis vint la guerre des hymnes.Début septembre 2006,je me rendis en compagnie de mon très bon ami Jérôme au Stade de France pour assister à un France-Italie comptant pour les éliminatoires du Championnat d’Europe des Nations prévu pour deux ans après. Après avoir été témoins d’une scène lamentable (un Égyptien installé en France, porteur du maillot italien, pris violemment à partie par cinq individus ),nous pénétrâmes dans l’enceinte dionysienne. Hymne italien conspué, arbitre un peu dépassé par l’ambiance ayant oublié de siffler certaines fois en faveur des « Azzurri »,mauvais regards, projections de canettes et d’insultes. Je relativise, pas si étonné que ça, mais quand même mécontente.

Mon ami, d’origine italienne comme moi,est beaucoup plus choqué. Je le comprends. Je n’oublierai jamais son regard perdu. Juillet 2006 avait effectué son grand come back.Le match retour ayant eu le bon goût d’amplifier les choses avec l’hymne français devenu inaudible à Milan sous les sifflets des supporters revanchards. L’Euro 2008 s’est ensuite déroulé. L’Italie y a défait la France sur le score de deux buts à zéro. Sans l’ombre d’une critique cette fois.

Ce souvenir sur fond de compétition footballistique a été l’occasion de revivre des moments intenses de joie,puis de doutes,de flottements.Normalement,le sport est un moment de partage,de loyauté.De camaraderie comme l’avait rappelé Giraudoux.Comme ce soir de juillet 2006 où ,en compagnie de mon cousin Stefano à Florence,nous avions convié un supporter français touriste de passage à dialoguer avec notre groupe d’amis autour d’un verre.Celui-ci nous avait alors remercié pour notre convivialité mais avait prononcé une phrase qui resta gravée dans ma mémoire :  « Je n’ose même pas imaginer ce qui doit se passer en France en ce moment.Je préfère être ici ce soir ».

Il eut donc raison.La rancune footballistique déplaça son curseur envers ce qui de près ou de loin s’apparentait à l’Italie.Le charpentier toscan Daniele Franceschi décédé en 2010 dans des circonstances douteuses lors de son incarcération à Grasse reste un cas non élucidé.Malgré ses plaintes constantes de douleurs au thorax,l’administration le négligea au point de retarder ses soins,sous les reproches du personnel pénitentiaire lui rappelant le soi-disant vol de la coupe du monde par l’équipe d’Italie.

Si on analyse la chronologie de cet ensemble de ressenti,nous sommes forcés de nous rendre à l’évidence : le hooliganisme peut s’apparenter à diverses formes.Tout comme le terrorisme.Le Football,si géopolitisé,peut se trouver tour à tour instrumentalisé,interprété,détourné à des fins commerciales ou politiques nationales.

Pourquoi cette digression finale ? Car une vague de mécontentement alimentée par une configuration socio-migratoire inédite a gagné les urnes lors de la tenue des élections européennes.Une réalité électorale qui coïncide actuellement avec le déroulement de l’Euro 2024 sur les sol germanique.Sur un plan plus local que continentale,la contestation par les urnes s’est vue prolongée en France par l’organisation d’élections législatives conditionnées par la dissolution de l’Assemblée Nationale.Or,les footballeurs français y sont allés de leurs opinions et commentaires.Ce qui signifie qu’une possibilité de tensions par le biais de la voie sportive est plausible.Ainsi,un match Autriche-Turquie ou Allemagne-Turquie pourrait donner lieu à des rixes entre supporters.

Mais plus subtilement,un match France-Italie ou France-Allemagne ou France-Portugal pourrait réveiller de vieux démons. Et faire le jeu des extrêmes aux visées prioritairement électoralistes depuis le sol allemand, c’est-à-dire l’endroit où avait déjà été organisé la « Football World Cup » en 2006,quelques mois après le déclenchement des émeutes urbaines dans les banlieues hexagonales. Sur un espace de vie où l’on s’amuse désormais à exhiber l’arbre généalogique d’un politicien, en l’occurrence Jordan Bardella. Où l’on renvoie les gens à leur religion supposée, comme lorsque l’on fait remarquer à Raphael Glucksmann la consonance judaïsante de son patronyme. Où les candidats franco-maghrébins se font renvoyer à leurs origines, qualifier d »’arabe de service » ou de « serpillère » selon l’affiliation choisie. Un hooliganisme d’État est en train de se mettre en place.Attention quand le ballon ne tourne plus rond.

Gianguglielmo Lozato

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